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Mon projet de thèse

  • francoisecahen
  • 17 déc. 2016
  • 9 min de lecture

L’étude des réseaux est au cœur de l’actualité universitaire de nombreuses disciplines : mathématiques, histoire, géographie, sciences de l’information et de la communication, sociologie, économie... C’est apparemment un concept transdisciplinaire qui émerge, avec l’espoir de voir apparaître des outils épistémologiques et des méthodes d’analyse communs, même si la diversité des objets étudiés par ces différentes matières en fait une notion complexe à appréhender.

La littérature s’empare elle aussi parfois de la notion de réseau, et c’est justement ce que je souhaite faire au cours de cette recherche. Il s’agira d’abord de définir ce que peut recouvrir, en termes littéraires, ce concept de réseau, quand il s’applique à des œuvres romanesques. Le mot « réseau » est polysémique. Il est intéressant de constater que l’étymologie lie la notion de réseau à celle de piège – et ce rapprochement se vérifiera dans nombre de romans contemporains- mais aussi à celle de texte, puisqu’il s’agit de tissage. La notion d’intrigue, qui provient du latin intricare, et sous-entend l’emmêlement de différents fils est également très proche, conceptuellement, de l’idée de réseau. Tout en démontrant qu’un réseau romanesque peut être thématique, historique, esthétique, etc…, je limiterai le champ de mon étude plus spécialement aux réseaux de personnages. Les définitions littéraires du concept de réseau seront confrontées à la façon dont l’appréhendent les spécialistes des autres matières. Les sociologues qui pratiquent l’étude des réseaux, comme Pierre Mercklé parlent de réseau à partir du moment où existe une relation entre trois éléments. Le mot réseau désigne à la fois les éléments reliés (par exemple des villes), et les liens eux-mêmes (par exemple des routes). Des logiciels permettent d’étudier les différents types de réseaux sous la forme de schémas appelés sociogrammes, et je tenterai, au cours de ma recherche, d’appliquer ce type d’analyse, en général plutôt destinée aux sciences sociales, à des œuvres romanesques. Stanley Milgram est l’un des sociologues à l’origine des études de réseaux sociaux mais c’est aussi lui qui a inventé le concept de « petit monde », puisqu’il a démontré qu’on pouvait relier entre eux des individus pris au hasard dans les Etats-Unis en établissant en moyenne cinq relations intermédiaires. Un roman n’est-il pas justement un « petit monde » ? La notion de réseau apparaît également beaucoup en médecine, notamment dans l’étude du système neuronal, et certains scientifiques ont fait des analogies intéressantes entre l’étude de notre cerveau et celle des relations entre individus.

L’expression « réseaux sociaux » est aujourd’hui l’appellation courante des sites Web du type Facebook, Twitter, LinkedIn, Meetic, Instagram, Viadeo, Youtube, Google +, Pinterest, Copains d’avant, Tumblr, qui mettent en relation les individus sur Internet. Ces différents réseaux, qui sont aussi des espaces d’écriture, prennent de plus en plus de place dans la vie contemporaine et ils apparaissent donc également de plus en plus dans les romans actuels, quand ils ne deviennent pas eux-mêmes un nouveau lieu d’écriture romanesque. L’objet de cette thèse sera notamment d’étudier la représentation que les œuvres romanesques récentes offrent de ces sites et des relations humaines qui s’y développent.

Problématique générale : Les réseaux sociaux ont toujours joué un rôle essentiel dans la structuration des romans. A l’ère du Web. 2.0, comment les réseaux sociaux innervent-ils les œuvres d’aujourd’hui ? Comment les personnages d’une œuvre littéraire actuelle forment-ils société? Les réseaux sociaux du Web ne deviennent-ils pas eux-mêmes les supports d’œuvres nouvelles ?

Perspective historique

La notion de réseau de personnages est essentielle dès les débuts du genre romanesque. Dans une perspective d’analyse historique, j’étudierai les formes des réseaux sociaux romanesques avant Internet, afin de les comparer aux réseaux romanesques actuels. Sans vouloir en retracer une histoire exhaustive, je choisirai quelques œuvres représentatives de la notion de réseau. Dans les épopées, avant même l’émergence du genre romanesque, les liens particuliers entre les dieux et les humains forment un réseau qui nourrit l’intrigue. L’Odyssée développe ainsi à la fois un réseau social vertical entre les hommes et l’Olympe et un réseau horizontal entre hommes, avec notamment l’hospitalité méditerranéenne qui participe à la construction du réseau social dans l’œuvre. Les réseaux sociaux ont également beaucoup d’importance dans les romans picaresques. Dans Gil Blas de Santillane, le réseau que le héros tisse au fil du livre ressemble à un système d’échelle permettant de grimper différents degrés de la hiérarchie sociale. Ce type de réseau picaresque ascensionnel ressemble à celui des héros de romans réalistes ou naturalistes du XIXème siècle comme dans Bel-Ami de Maupassant, où le héros utilise un réseau essentiellement féminin pour progresser socialement. Mais nous pourrons opposer différents types de réseaux romanesques dans les grandes fresques du XIXème siècle: alors que Les Rougon-Macquart de Zola sont structurés par une arborescence qui calque celle d’un arbre généalogique, le réseau balzacien des personnages dans La Comédie humaine de Balzac semble plus complexe. Ne pourrait-on pas en faire une sorte de système « cliquable », avec ses personnages récurrents? Le réseau des personnages, chez Balzac, pourrait presque apparaître « numérique par anticipation » (notion reprise à Marcello Vitali-Rosati). L’étude du genre épistolaire peut également recéler des outils conceptuels utiles pour l’étude des réseaux sociaux romanesques d’aujourd’hui. Quand Michel Foucault, dans Le Gouvernement de soi et des autres4, analyse la correspondance de Sénèque, certaines de ses réflexions pourraient tout à fait s’appliquer aux réseaux sociaux d’aujourd’hui. La complexité polyphonique des Liaisons dangereuses de Laclos ne fait-elle pas de ce roman un réseau social mondain au sens contemporain du terme ? Certains outils littéraires pourraient être tirés des analyses qui en ont été faites et s’avérer utiles pour celle des réseaux sociaux romanesques contemporains. Enfin, il nous semble qu’Ulysse de Joyce est une référence incontournable quand on souhaite étudier aujourd’hui la notion d’écriture romanesque autour d’un réseau de personnages.

Corpus

Le corpus principal des œuvres qui seront étudiées dans cette thèse se décompose en trois grands groupes. Les romans contemporains dans lesquels les réseaux sociaux du Web constituent l’un des ressorts de l’intrigue s’imposent de manière évidente. Mais d’autres fictions d’aujourd’hui, dans lesquelles la notion de réseau de personnages est essentielle, sans être directement liée au web, seront aussi étudiées. Enfin, un troisième volet du corpus sera composé d’œuvres qui s’écrivent directement en réseau sur le Web.

  1. Les romans dans lesquels les réseaux sociaux du web sont un ressort de l’intrigue

Emmanuelle Pireyre, Féerie générale, L’Olivier, 2012

Virginie Despentes, Vernon Subutex 1 et 2, Grasset, 2015

Camille Laurens, Celle que vous croyez, Gallimard, 2015

Eric Reinhardt, L’Amour et les forêts, Gallimard, 2014

Eric Reinhardt, Cendrillon, Stock, 2007

2. Des œuvres contemporaines dans lesquelles les réseaux de personnages n’ont pas de lien apparent avec le web

Laurent Mauvignier : Autour du monde, Editions de Minuit, 2014

Fanny Chiarello : Tombeau de Pamela Sauvage, La Contre-allée, 2016,

et/ou Le Zeppelin, L’Olivier, 2016

Christophe Manon : Extrêmes et lumineux, Verdier, 2015

Jean-Charles Massera : Le Parc des distanciations, monologues filmés produits par l’auteur en 2014

  1. Des œuvres qui sont créées directement sur les réseaux numériques

François Bon, Le vidéo-journal sur Youtube https://www.youtube.com/user/tierslivre

Général Instin, une œuvre collective, depuis 19975, sur remue.net

Alexandra Saemmer et Lucile Haute, Conduit d’aération , 2012

Véronique Taquin, Un roman du réseau, Hermann, 2012

Jean-Pierre Balpe, Un monde incertain http://www.balpe.name/Un-Monde-Incertain-Jean-Pierre

Jean-Philippe Toussaint (et un collectif d’auteurs), Borges projet

A ces titres essentiels de notre corpus s’ajoutera une bibliographie secondaire, composée notamment d’œuvres très littéraires mais en lien moins direct avec notre sujet, ou bien de romans de valeur littéraire moins grande, auxquels nous pourrons ajouter, au fil de nos lectures, d’autres éléments, parce qu’ils nous paraitront révélateurs des liens entre littérature et réseaux sociaux. Par exemple La théorie de l’information d’Aurélien Bellanger retrace l’histoire des réseaux sociaux ; dans les romans d’ Eliette Abécassis, Une affaire conjugale, Philothérapie, les intrigues sont fondées sur une fiction mise en abyme sur Facebook, le roman de Judith Mayer Un mobile ou certains romans policiers envisagent notamment des problèmes de cyber harcèlement, l’œuvre singulière de Thierry Crouzet a investi Twitter pour inventer la Twittérature ou bien les réseaux des fans-fictions (évoqués par Emmanuelle Pireyre dans Féerie générale) réunissent de jeunes gens qui écrivent, en s’entraidant, la suite de séries connues. Quelques exemples de romans étrangers, quand ils sont incontournables pour notre sujet, pourront être cités, sans constituer toutefois l’objet d’analyses approfondies : Le Cercle de Dave Eggers ou L’Idée ridicule de ne jamais te revoir de Rosa Montero.

Problématiques essentielles, directions de recherches provisoires :

A. Réseaux et « petits mondes » romanesques : agrandir le roman, réduire le monde

Les réseaux de personnages sont les supports de structures romanesques originales : nombreux sont les réseaux en forme de « guirlandes » de personnages auxquels le récit s’intéresse au fil des chapitres, plus ou moins en alternance. L’expansion du réseau correspond souvent à celle du roman. Mais parfois, une structure en guirlande autour de personnages successifs cache un réseau de personnages assez circulaire autour d’un seul héros : il faudra différencier les structures apparentes des œuvres de leurs réseaux cachés. Nombreux sont les romans qui jouent également sur la mise en abyme de fictions inventées par les personnages sur les réseaux sociaux: il s’agit alors de fictions gigognes. Le réseau social est une forme qui tend à l’expansion infinie : les formes de création numériques, ouvertes et parfois collectives, n’ont pas forcément de limites. A l’intérieur de la forme fermée d’un livre, les réseaux de personnages créent l’illusion d’un monde ouvert et infini- ce qui était déjà le cas dans les fresques du XIXème siècle : en quoi le web renforce-t-il cet effet ? Mais à l’opposé, l’écriture des réseaux sociaux est souvent aussi fragmentaire, et dans les œuvres de notre corpus différentes formes d’éclatement des récits sont particulièrement remarquables. Quand Dominique Cardon affirme : « Collection disparate de traces d’activités décousues révélant de façon kaléidoscopique des micro-facettes identitaires, l’individu calculé est un flux »8, ne définit-il pas aussi en partie la direction de nouvelles formes de récits contemporains ? Dans quelle mesure ces structures éclatées créent-elles une cohérence qui leur est propre ? Il sera aussi intéressant de se poser la question des liens entre espace, temps et réseaux sociaux : un réseau social peut abolir les distances et établir des ponts avec le passé dans les récits.

B. Représentations critiques des réseaux sociaux numériques dans les fictions

L’inventaire des réseaux sociaux du web les plus représentés dans les romans actuels permettra de décrire les nouveaux types de relations humaines qu’ils induisent et parfois même les métiers ou les identités des personnages qui en dépendent. Paradoxalement, le réseau social des personnages est souvent un moyen de parler des solitudes contemporaines, amalgame de récits isolés plus que création d’une véritable communauté. Mais certains réseaux de personnages sont très positifs, comme les réseaux de solidarités, qui développent l’idée de l’interdépendance humaine. Comment les réseaux sociaux forment-ils donc société dans les romans ? Certains d’entre eux ont une dimension mondialisée, visant l’imaginaire d’un réseau global, d’autres forment des groupes de petite dimension autour d’un centre d’intérêt. Les réseaux sociaux du web sont parfois critiqués dans les œuvres de ce corpus : représentés comme des pièges, des espaces de faux-semblants dangereux, ferments de violence, ou comme une forme d’expression exhibitionniste et autocentrée. Le contenu de ces fictions sera confronté aux ouvrages critiques des sociologues qui analysent les atouts et les dangers des réseaux sociaux. Ont-ils tendance à nous enfermer dans nos conformismes, comme l’affirme Dominique Cardon dans A quoi pensent les algorithmes ? Sont-ils une forme de « Storytelling » au service du libéralisme, comme le suggère Christian Salmon ? Les réseaux sociaux ne sont-ils pas également un système d’auto-surveillance des individus, qui limite leurs libertés ?

C. Nouvelles dynamiques d’écriture : Poétique des « liens faibles », créations en réseaux

Les liens entre les différents fragments de ces fictions souvent discontinues font l’objet d’attentions particulières : comme sur internet, où l’on passe visiblement du coq à l’âne très rapidement, les auteurs se sont emparés de cette esthétique du glissement vers des contenus hétéroclites, propres aux hyperliens. De rapprochements improbables, les auteurs tirent des fulgurances, ou des inductions subtiles. Surgit une véritable poétique des « liens faibles », et cette recherche s’attachera à la définir, à en analyser les effets. Des formes d’écriture propres à l’écriture web apparaissent dans les romans : titres récurrents qui correspondent à des rubriques, insertion d’images, dialogues sous la forme de « chats » dans lesquels se développent des styles hétéroclites, apparition de pseudonymes et développement du concept d’avatar. Apparaissent des hashtags, ainsi que des abréviations typiques de l’écriture sur les réseaux sociaux du web, qui contaminent l’écriture romanesque. Les formes de la création littéraire évoluent sur les réseaux sociaux. Le vidéojournal de François Bon forme une oeuvre littéraire particulière. La création sur les réseaux sociaux est souvent un atelier en direct: nombreuses sont les œuvres, collectives ou non, qui s’y créent et s’y transforment. Les créations des écrivains se mêlent aux actualités des lecteurs sur Facebook : des personnages fictifs de Jean-Pierre Balpe se mettent à aimer les photos de vacances de personnes réelles et les frontières entre la fiction et la réalité deviennent de plus en plus floues. Les réseaux sociaux ne sont-ils pas une manière de rapprocher le roman de ses lecteurs ? Les professeurs de lettres, dans leurs classes, pratiquent de plus en plus les écritures en réseaux. Le réseau offre à la création littéraire un support interactif et dynamique.


 
 
 

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